ENQUÊTE – Les montres de luxe, nouvelles cibles des voleurs en bande organisée

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Paris, mi-juin 2023. Il est bientôt 19 h 30, François-Jean quitte son bureau du très chic quartier de Monceau, dans le 17e arrondissement. Ce chef d’entreprise s’apprête à monter sur son scooter quand deux voyous lui sautent dessus. Le premier l’étrangle par l’arrière, le second lui saisit le bras gauche. Les deux hommes ont aperçu sa montre Audemars Piguet Royal Oak « Jumbo » Extra-Plat. Neuve, cette montre suisse coûte 32 100 euros. Le sexagénaire faisant de la résistance, les deux voyous redoublent de violence pour lui voler sa « licorne » horlogère, une pièce introuvable en boutique. Et pour cause : la valeur de revente d’un tel objet oscille entre 65 000 et 120 000 euros sur le marché de l’occasion !

Mais le projet des voleurs tombe à l’eau, grâce à l’intervention de Tom, policier à la brigade des stups, qui rentre chez lui à moto et remarque l’agression. « Comme dans un film, il est monté sur le trottoir et a stoppé net à notre hauteur, raconte François-Jean. Il en a collé une à un de mes agresseurs. Sous l’effet de surprise, ils se sont tirés en courant. J’ai eu plus de peur que de mal… Depuis, j’évite de porter ma montre bras nu. » Margot a eu moins de chance. En janvier dernier, cette quadragénaire mère de famille s’est fait gazer dans le 16e arrondissement parisien par deux voyous qui ont embarqué la Rolex héritée de son père.

Depuis bientôt cinq ans, le scénario est très fréquent et quasi identique. Des petits groupes errent dans les rues des beaux quartiers de Paris et dans les Hauts-de-Seine à la recherche de montres de luxe à voler. « Ce ne sont ni des Arsène Lupin contemporains ni des Robin des Bois modernes. Non, ce sont des crapules de la pire espèce, explique le commissaire divisionnaire Romain Sémédard, chef de la Sûreté territoriale de Paris. Ils s’en prennent aux plus faibles et ne reculent devant aucune violence. Quand nous les arrêtons, ces voyous, souvent déjà connus de nos services, n’éprouvent pas la moindre empathie pour la victime qu’ils ont fracassée. Ils s’en fichent complètement. »

Les modèles les plus prisés des délinquants sont logiquement ceux qui sont les plus appréciés par les clients : Patek Philippe Nautilus, Aquanaut, Audemars Piguet Royal Oak et, évidemment, Rolex Submariner, GMT-Master II et Daytona. Viennent ensuite des Cartier et des Breitling.

huit rolex dans un clip

Certains malfrats agissent en bande organisée, d’autres pour leur propre compte, comme c’était le cas des membres du sinistre « gang des Rolex », tous condamnés par le tribunal correctionnel de Nanterre entre décembre 2021 et février 2022 à des peines allant de quatre à six ans de prison ferme. De septembre à novembre 2020, cette bande organisée du 19e arrondissement a écumé l’Ouest parisien à la recherche de Daytona et autres Datejust.

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Résultat : quatorze agressions ultraviolentes leur ont été imputées, certaines sur des hommes âgés de plus de 70 ans. Le chef de la horde, surnommé JRK 19, s’en vantait même dans des textes de rap diffusés sur sa chaîne YouTube : « J’regarde pas ton cul, moi j’regarde ta Rolex… / Le temps c’est de l’argent, j’cours après ta montre… / On fait pas de MMA (non, non), mais nous, on serre ton cou (ouais)… »

Censé avoir été condamné à cinq ans d’emprisonnement, ledit JRK 19 a bénéficié d’une permission de sortie de vingt-quatre heures le 22 novembre 2023, qu’il a aussitôt mise à profit pour enregistrer un album intitulé #FreeJRK.

Il faut croire que sa supplique a été entendue : fin février, il annonce sa mise en liberté et sort une nouvelle chanson, Submvriner, référence à la plus célèbre des Rolex et à ses faits délictueux passés. Visiblement, l’étrangleur n’est pas étouffé de remords. « Il me faut une Submariner / M’énerve pas, j’suis pas d’humeur / J’te raconte ma vie, quotidien d’un voleur / Je me refais en une heure », chante-t-il, toute honte bue.

Curieusement alors que JRK 19 a toujours proclamé, devant les juges, ignorer ce qu’étaient devenues les montres arrachées, ni la justice ni la police ne semblent avoir regardé le clip du rappeur. Il y exhibe pas moins de huit Submariner, dont des modèles à lunette et cadran bleu en or blanc, ainsi que des liasses de billets de 200 euros…

Les condamnations relativement sévères du gang des Rolex sont malheureusement loin d’avoir dissuadé d’autres délinquants de ­passer à l’acte. En 2022, pas moins de 220 plaintes pour des vols similaires ont été traitées par le groupe « montres » de la Sûreté territoriale de Paris, exclusivement compétente dans la capitale. Le mode opératoire est le même. Les sanctions ne suivent pas vraiment. Une bande de voleurs roumains qui sévissait dans l’Ouest parisien – la justice lui attribue une vingtaine d’agressions nocturnes violentes sur des hommes âgés de 19 à 80 ans – est toujours en attente de jugement au tribunal correctionnel de Nanterre.

Sur la Côte d’Azur, huit ressortissants marocains qui agissaient depuis 2020 viennent de passer devant le tribunal correctionnel de Grasse. De Cannes à Saint-Tropez, ils ont arraché des Patek Philippe, des Breguet et même la propre Richard Mille de Richard Mille, le créateur de la marque, le 30 août 2020 à Saint-Tropez, une montre valant plus de 200 000 euros. Alors que les membres de la bande encouraient une peine de vingt ans de réclusion criminelle et de 150 000 euros d’amende dans un procès d’assises, les magistrats ont préféré recorrectionnaliser les faits. Sur les huit prévenus, un a été relaxé, les autres ont été condamnés à des peines allant de deux ans (dont un avec sursis) à quatre ans ferme.

« C’est assez courant ces requalifications de faits criminels en faits délictuels, explique un magistrat lyonnais. Cela permet de juger plus rapidement et de désengorger le calendrier d’une cour d’assises. Aussi important soit le montant du préjudice, c’est avant tout l’atteinte aux personnes qui est considérée. Si aucun plaignant n’a été grièvement blessé ou tué, l’infraction est souvent requalifiée. »

un marché gris

Si le vol avec violence reste le plus traumatisant pour les victimes, les enquêteurs ont néanmoins identifié d’autres modes opératoires, moins brutaux mais pas moins crapuleux.

« Il y a des voleurs ­algériens qui volent par ruse. Comme les pickpockets, ils détournent l’attention de leur proie le temps d’une danse ou d’un tour de magie pour s’emparer de sa montre. Ils la repassent ensuite à un complice qui disparaît dans la foule. Ils viennent tous du même quartier d’Alger où ils apprennent la technique, explique le commissaire Sémédard. Il y a aussi les voleurs à la portière, affiliés à la Camorra napolitaine. Ils repèrent une montre au poignet d’un automobiliste, retournent son rétroviseur et profitent du moment où il sort la main afin de le remettre en place pour lui enlever sa montre et s’enfuir en scooter. Ce sont les techniques “douces”. Les méthodes violentes, ce sont celles des bandes de cités qui voient la valeur des montres et profitent de l’aubaine. »

Opportunistes ou organisées, elles n’hésitent pas à laisser leurs victimes K.O. après une strangulation et des coups de pied. Quant à la montre, si elle n’est pas écoulée auprès d’un receleur, elle finit au poignet du voleur. Ou  abandonnée pour pas grand-chose à un caïd de cité, qui l’échange contre une livre de cannabis ou l’effacement d’une dette de drogue.

« On ne retrouve malheureusement jamais les montres, confirme le commissaire Romain Sémédard. Les voleurs font en sorte de les faire disparaître très rapidement et encaissent l’argent »

Celles qui atterrissent chez un « fourgue » se retrouvent sur le « marché gris », celui des occasions vendues comme telles, mais dans des pays peu regardants sur l’approvisionnement. Dans ce domaine d’activité, les réseaux mafieux sont plutôt bien structurés. Ainsi, les Roumains en attente d’un jugement à Nanterre écoulaient auprès de revendeurs peu scrupuleux d’Anvers. Ces derniers rachetaient les montres en lots, à un tarif situé entre le quart et le tiers du prix du neuf.

Les garde-temps sont ensuite exportés vers des destinations exotiques où les marques de luxe sont peu distribuées et la clientèle pas forcément tatillonne : Algérie, Moyen-Orient, Asie centrale. La principale plaque tournante se situe en Turquie. De là, les montres repartent en Iran, à Dubaï ou dans les pays turcophones comme l’Ouzbékistan et l’Azerbaïdjan… Elles sont plus rarement expédiées en Afrique. Aucune ne prend le chemin de la Chine : les marques horlogères y sont très bien implantées et la justice chinoise est très peu clémente envers les voleurs. Il n’empêche : « On ne retrouve malheureusement jamais les montres, confirme le commissaire Romain Sémédard. Les voleurs font en sorte de les faire disparaître très rapidement et encaissent l’argent. Les valeurs de revente qui nous reviennent sont de l’ordre des deux tiers du prix du neuf. »

sécurisation par blockchain

Pour lutter contre le vol, les marques horlogères sécurisent au maximum. Chez Rolex, chaque montre est suivie depuis son achat par un système top secret. Idem chez Breguet où, hormis ceux qui ont été ­brûlés lors de la Révolution ­française, des livres recensent chaque pièce sortie de la manufacture de la vallée de Joux. Breitling joue de son côté la carte de la modernité avec la blockchain.

Chaque montre achetée est enregistrée dans le cloud. « Nos montres sont de plus en plus équipées de mouvement que seul un horloger agréé est en mesure de réparer. Donc, dès qu’il entre dans son ordinateur le numéro de série d’une montre déposée, il sait si la montre a été déclarée volée. Si c’est le cas, il prévient aussitôt la police », explique Ruben, vendeur chez Breitling, rue de la Paix. Et cela n’importe où dans le monde.

Car le vol de montres devient une activité mondiale. Au fil des saisons, les voyous suivent les lieux de villégiature des propriétaires de montres suisses : Paris, Londres, Marbella… Si Monaco est épargnée, sa banlieue ne l’est pas. En avril dernier, en plein tournoi de tennis et malgré ses deux mètres de hauteur, l’Américain Sebastian Korda s’est fait plaquer au sol et frapper avant de se faire délester de sa Richard Mille à 300 000 euros. Au total, plus de 80 000 montres de luxe « perdues ou volées » ont été répertoriées par le site britannique The Watch Register.

Montant total du préjudice : 1,3 milliard d’euros, soit 16 250 euros en moyenne par montre. Les joailliers se plaignent aujourd’hui d’une recrudescence de vols à Barcelone et craignent le pire à Paris pendant les Jeux olympiques. Ils auraient apprécié que les autorités mettent en garde les touristes, comme ce fut le cas à Rio en 2016. Mais, au moins dans l’immédiat, la préfecture de police se veut apaisante. « Il n’y a pas de raison de s’inquiéter pour la période des JO, estime le commissaire Sémédard. La sécurité va être bien assurée. » Nous voilà rassurés.

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