Artisans du luxe : la nouvelle génération prend la main

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Du luxe, on aime tout ce qui brille. Les pièces extraordinaires présentées à un défilé de mode. Les parures de la haute joaillerie qui scintillent sur les stars, à Cannes ou à Hollywood. Les malles sur mesure sans lesquelles les plus grandes, de Bella Hadid à Naomi Campbell, n’envisagent pas de voyager.

Mais derrière cette vitrine de la fabrique de l’excellence existe tout un royaume sur lequel règnent les « petites mains », comme on désigne les ouvrières d’exécution dans les maisons de couture. Chez LVMH, Chanel, Saint Laurent ou Hermès, on leur rend hommage. Mieux, on leur construit des incubateurs, comme le 19M à Aubervilliers et bientôt la maison des métiers d’excellence LVMH, qui ouvrira ses portes fin 2025 rue Bayard, à Paris. Il s’agit de former, de reconvertir et de susciter les vocations d’une nouvelle génération. Loin de l’image d’Épinal du film « Falbalas », de Jacques Becker, ces jeunes artisans, transmetteurs de tradition, maîtrisent aussi les outils de leur époque.

À l’instar de Benjamin, ce brodeur tatoué en apprentissage chez Givenchy, qui se réjouit de participer à sa première fashion week. Son travail, on le découvre lors du défilé homme de la saison automne-hiver 2024, en janvier dernier. Il a entièrement brodé à la main un pantalon qui s’affiche comme l’une des pièces maîtresses et exceptionnelles de la collection. Un véritable travail de haute couture. « De la conception de la broderie, en septembre, à la réalisation finale, il aura fallu quatre mois et, à la fin, 250 à 300 heures de travail… à 80 % sur un ordinateur », explique Benjamin. Qui l’eût cru ? « Nous sommes partis d’un imprimé vintage d’Hubert de Givenchy, source d’inspiration de la collection, scanné puis intégralement redessiné dans les moindres détails sur l’ordinateur avec l’aide de logiciel de CAO. »

Ferrage et lozinage (pose d’un matériau rigide sur les arêtes du bagage): Maël, ancien compagnon du devoir, finalise la fabrication d’une malle Casino Monogram (vendue 253000 euros). À Asnières-sur-Seine, le cœur historique de Louis Vuitton.

Ferrage et lozinage (pose d’un matériau rigide sur les arêtes du bagage): Maël, ancien compagnon du devoir, finalise la fabrication d’une malle Casino Monogram (vendue 253000 euros). À Asnières-sur-Seine, le cœur historique de Louis Vuitton. Paris Match / © Vincent Capman

Des méthodes qu’utilisent architectes ou designers. « Même si tout est fait sur Photoshop, l’impression en réel donne une tout autre perspective. Il faut parfaitement maîtriser la construction du vêtement, les types de couture, pour savoir comment va fonctionner la broderie avec la pièce et le tissu. » Une fois le patron réalisé, le fichier informatique au format PSD est envoyé, accompagné d’un échantillon de broderie, aux ateliers de confection, ce qui permet de réaliser les pièces avec un maximum de précision.

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 Travailler sur ordinateur permet de réparer bien des bêtises 

Benjamin, brodeur en apprentissage chez Givenchy

« Autrefois, tout se faisait directement à la main, poursuit Benjamin. Le directeur ­artistique faisait des dessins pour le designer qui redessinait, redessinait… Autant dire que le droit à l’erreur n’était pas une option. Or, quand on est étudiant, on se trompe souvent. Travailler sur ordinateur permet de réparer bien des bêtises, les changements s’opèrent plus rapidement, permettent de voir le modèle de façon plus précise. Mais le savoir-faire technique et manuel est toujours là ! En permettant plus d’expérimentations, le travail digital apporte une extraordinaire valeur ajoutée. La quête de perfection, d’originalité, de contemporanéité, est démultipliée. C’est très créatif, très ludique. »

Tout est fait à la main : étape d’habillage intérieur de la malle

Tout est fait à la main : étape d’habillage intérieur de la malle Paris Match / © Vincent Capman

Nouvelle génération, nouvelles aspirations. Fiers et conscients de leur singularité, ces jeunes artisans se considèrent désormais comme des créateurs. Benjamin rêve de monter sa maison de mode ou de devenir directeur artistique : « Le Graal ! » Au XXIe siècle, comment tombe-t-on dans la marmite de la broderie de mode ? « En entrant aux Beaux-Arts à Toulouse, raconte-t-il. La broderie, soyons honnêtes, je ne savais même pas que cela existait. Mais le travail de la matière m’a toujours plu. En fin d’année, j’ai proposé quelques vêtements pour un défilé. Mes profs m’ont conseillé de partir faire une école de mode pour la technicité. J’ai intégré un master 2 chez Duperré, en travaillant en alternance chez Givenchy. C’est ici que je me suis initié à la broderie. Il s’agit d’un univers très peu connu, dont on ne parle même pas à l’école. »

Pour certains, la vocation arrive très jeune. À l’instar de Yeon, 19 ans, en contrat d’apprentissage chez Chaumet, fief historique de la haute joaillerie depuis 1780. « J’ai grandi en Birmanie, où les pierres font partie de la culture. Mon grand-père était marchand de jade. De passage en Thaïlande après mon bac, j’ai fait un stage de trois mois dans un atelier de joaillerie. Une révélation. »

L’art de la précision : le sertissage d’une pierre par une apprentie, chez Chaumet.

L’art de la précision : le sertissage d’une pierre par une apprentie, chez Chaumet. Paris Match / © Vincent Capman

Yeon décide de passer les concours de la Haute École de joaillerie à Paris. Au programme : gouache, dessin technique, travail des pièces de métal, modelage… Comment entre-t-on ensuite chez Chaumet ? « Comme pour n’importe quel apprentissage, en faisant du “dating”. » Le cursus prévoit une alternance de deux ans pour se former au métier. Depuis septembre, Yeon débarque chaque matin place Vendôme, retrouve sa blouse, son établi et son outillage.

 C’est un travail très personnel qui exige énormément de concentration 

Marie-Sophie, cheffe d’établi

L’ambiance est studieuse. « C’est un travail très personnel qui exige énormément de concentration », observe Marie-Sophie, sa cheffe d’établi. « Un apprentissage dans la haute joaillerie se réalise comme un compagnonnage, c’est un métier de transmission », explique Delphine, artisane d’un atelier où l’on se passe le relais depuis deux cent quarante-quatre ans ! Pour commencer, apprendre à scier, limer, souder, fraiser, percer… et on finit par les fermoirs ! « Comme tout apprenti, Yeon doit réaliser une pièce particulière, poursuit Delphine. Elle a choisi un papillon, dont elle vient de réaliser les ailes. On ne se rend pas compte quand on la voit, mais souder le fil est un exercice extrêmement difficile. Yeon est excellente et très mature, malgré sa grande jeunesse. »

Yeon, étudiante à la Haute École de joaillerie, travaille en alternance dans la célèbre maison de la place Vendôme.

Yeon, étudiante à la Haute École de joaillerie, travaille en alternance dans la célèbre maison de la place Vendôme. Paris Match / © Vincent Capman

D’autres, comme Marie-Sophie, ont dû être plus patientes : « Un métier manuel, dans mon milieu, ça ne se faisait pas. J’ai passé une maîtrise de sciences éco pour faire plaisir à mes parents. Puis j’ai tout recommencé en m’inscrivant en CAP et en travaillant parallèlement aux Galeries Lafayette. J’ai ensuite bossé chez un sous-traitant en haute joaillerie, puis pendant trois ans chez Vuitton, ensuite Cartier et enfin Chaumet. Quel bonheur ! »

Ex-infirmière, aujourd’hui chez Chaumet

Il y a aussi le parcours de cette ex-infirmière en soins palliatifs, ­arrivée il y a un an chez Chaumet : « J’ai passé le diplôme en candidate libre, avec trois heures de cours du soir. Et puis j’ai rencontré les bonnes personnes au bon moment : un prof qui était chef d’atelier. » Ici, comme elle, les apprentis viennent de l’école Boulle et de la Haute École de joaillerie, à Paris, ou de l’Institut de bijouterie de Saumur. Et sont unanimes : dès la sortie, ils trouvent un job !

Une broderie chandelier qui exige des heures de travail minutieux.

Une broderie chandelier qui exige des heures de travail minutieux. Paris Match / © Vincent Capman

« Ils commencent avec un salaire aux alentours de 33 000 euros par an, en tant que junior, mais pour certains cela grimpe vite. Les bons profils sont rares et très recherchés, le secteur est en croissance », décrypte Benoît Verhulle, treizième chef d’atelier de Chaumet, qu’il a intégré il y a trente-quatre ans. Il veille à la diversité des profils. « L’entre-soi d’hier, la misogynie, c’est fini. Longtemps, les joailliers étaient fils de joailliers, et les femmes cantonnées au rôle de polisseuses et d’enfileuses de perles. Aujourd’hui, nous avons une équipe davantage à l’image de la société. C’est extrêmement enrichissant d’avoir sur mes planches des personnalités qui viennent d’autres univers ou professions. Il n’y a pas que les échanges ou la façon de transmettre qui sont très différents, mais aussi le sens de l’esthétique. De toute façon, je choisis des mains. Pas un homme ou une femme. »

Sur l’ordinateur, le motif de base est redessiné et colorisé.

Sur l’ordinateur, le motif de base est redessiné et colorisé. Paris Match / © Vincent Capman

Pour rencontrer Maël, 28 ans, rendez-vous est pris dans les ateliers Louis Vuitton, à Asnières-sur-Seine, fief historique de la maison depuis 1854. Encore aujourd’hui, c’est ici que sont réalisées les commandes sur mesure, à l’instar des extraordinaires malles « vache » ­découvertes pendant le défilé western de Pharrell Williams, en ­janvier dernier. Maël suit la trace des grands maîtres.

Pantalon brodé Givenchy homme, collection automne-hiver 2024, inspiré d’un imprimé créé en 1955.

Pantalon brodé Givenchy homme, collection automne-hiver 2024, inspiré d’un imprimé créé en 1955. © DR

« Il n’existe pas de formation de malletier à proprement parler, dit-il. Les apprentis viennent comme moi du monde de la maroquinerie ou de l’ébénisterie, c’est ici qu’on apprend réellement ce savoir-faire. » Maël a suivi la formation des Compagnons du devoir pendant dix ans. CAP et brevet pro de menuiserie en poche, il intègre les ateliers Louis Vuitton, où officient trois générations, de 18 à 68 ans. L’équipe comprend 330 employés dont 190 artisans, aux parcours de vie multiples, dont des cadres reconvertis qui feront ici tout ou partie de leur carrière. Parmi les épreuves d’admission, un test de plantage de clou sur une toile en PVC.

Benjamin, l’apprenti brodeur, avec les couturières dans l’atelier haute couture de Givenchy.

Benjamin, l’apprenti brodeur, avec les couturières dans l’atelier haute couture de Givenchy. Paris Match / © Vincent Capman

« Nous sommes responsables d’une commande du début à la fin, explique Maël, de la menuiserie au capitonnage en passant par le collage. » Des journées, voire des semaines de travail. « On commence généralement par de petites pièces, comme des coffrets joaillerie. Chaque commande a ses spécificités. Ainsi, un client qui déteste le nombre 6 a commandé sa malle sans aucune mesure en 6. Un autre a demandé un coffre pour les clés de sa collection de trente-trois voitures ! »

Certains outils trop dangereux ont disparu

Pour le moment, Maël travaille sur un modèle Casino, avec tapis de table de jeu intégré. « Les demandes doivent rester dans les codes de la maison, explique le chef d’atelier. Nous n’acceptons pas de réaliser des malles pour les armes, par exemple. Si certains outils ont disparu, comme le couteau demi-lune ou celui à pied dédié à la découpe des bandoulières, aujourd’hui jugés trop dangereux, les techniques, les gestes restent ceux d’hier. À quelques détails près, on travaille de la même façon qu’il y a un siècle. »

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